07/12/2005
Elève-Professeur ou Deshi-Shishô : Faire tomber les masques…
J’utilise volontairement ces mots, en évitant le mot « Sensei » qui ôté de son véritable contexte peut prêter à confusion tant son utilisation au Japon est courante dans toutes les situations où l'on rencontre une personne qui possède un savoir aussi petit soit-il. Les non- japonais ayant vu apparaître ce terme de Sensei dans le judo puis dans le karaté, en ont déduit hâtivement et abusivement que celui-ci signifiait uniquement « Maître ».Il n’en est rien. Il est très difficile de trouver dans le langage de pays aussi différents que la France et le Japon des mots dont les sens seraient exactement identiques.
Pour permettre à ceux qui liront ces quelques lignes de mieux en comprendre les sens que je souhaite leurs donner, je pourrais parler pour la relation Deshi-Shishô de relation Disciple-Maître. Mais aussi proche soit-elle la traduction est imparfaite, et je préfère garder ici le terme de Deshi et Shishô
Contrairement à la relation Elève-Professeur la relation Deshi-Shishô ne se construit pas unilatéralement.
En effet, dans la relation Elève-Professeur, le plus souvent c’est le professeur qui fait acte de « candidature » (par tout type de « communication » interposée) afin de proposer un enseignement dont le contenu est bien défini. Tellement défini, que la contrepartie en est nettement annoncée, fixée et identique pour tous. L'Elève lui est un consommateur de prestations, et à ce titre il pourra même la juger et éventuellement la contester. Comme la contrepartie est fixée, l’Elève estime qu'il remplit le contrat dès le moment où il la règle.
Cette relation est totalement « équilibrée » à partir du moment où chacun est parfaitement conscient du rôle qui lui revient.
Malheureusement si cette situation est parfaitement claire dans la plupart des disciplines, elle ne l'est pas dans la nébuleuse des sports de combat que certains nomment abusivement « arts martiaux » pour des raisons d’égo personnel car il est sans doute valorisant pour eux de faire comme s'ils faisaient partie d'un groupe porteur d’une histoire sans en respecter les règles, et sans en avoir les obligations. Dans ce type de relations où les professeurs se prennent souvent pour des Shishô et les Elèves pour des Deshi tout en prenant garde de se maintenir dans des relations conformes au modèle expliqué ci-dessus, il est difficile pour le profane de s’y retrouver. C’est sans doute fait pour cela.
A la décharge de certains, force est de constater que peu ont vécu une relation de Deshi-Shishô. D’autres par contre se complaisent dans ce rôle qui leur donne le plus souvent une sensation de « pouvoir » qu’ils ne pourraient avoir autrement.
On dit au Japon : « quand le Deshi est prêt il rencontre le Shishô et réciproquement. »
Dans tous les autres cas, la relation se réduira à celle présentée précédemment. Ce qui ne veut pas dire que cette relation Elève-Professeur est dénuée d'intérêt, mais elle n'est pas celle qui conduit aux valeurs du Budô, et je ne l'évoquerai plus qu'incidemment à titre de comparaison.
Etre un Deshi dans le Budô c’est d’abord être dans un état permanent d’attention envers les autres.
Cette voie qui conduit à devenir « Samuraï », est toujours vivante bien que ce terme puisse paraître quelque peu anachronique quand on le prend dans son sens guerrier. Mais en fait ce terme signifie dans la forme la plus humble de la langue japonaise : « être à coté d’une personne de rang plus élevé, prêt à servir, et dans l’attente du moment pour intervenir » et rien de plus. Mais pour bien servir il faut s'améliorer sans cesse pour donner toujours plus sans rien espérer en retour. C'est cette attitude, qui va conduire le Deshi dans la voie d'un comportement qui se veut exemplaire, et qui passe d'abord par le respect du « Rei Gi » envers le Shishô, envers ses Sempaï, envers les autres Deshi, et puis envers toutes les personnes rencontrées au fil de sa vie. Ceci afin de porter haut les couleurs du groupe auquel on appartient, et pour remercier ceux qui consacrent leur temps et leur énergie au maintien de ces traditions.
Toutes les règles à respecter ne sont pas écrites car l’attitude dont on parle est celle du coeur et doit être adoptée sans obligation, et sans contrainte imposée.
Ceci implique entre le Shishô et le Deshi une véritable complicité, un rapport étroit ou le « Kokoro » régit la relation au quotidien. (Je parlerai du Kokoro dans une prochaine note).
L'important est l'attitude permanente à l'écoute des autres, l'exemple des anciens et de son Shishô qui montre le chemin. On dit au Japon qu'accéder au « Yamato Damashi » c’est comprendre 12 quand on vous apprend 1…
On est bien loin de la relation Elève-Professeur qui se traduit par une présence le plus souvent irrégulière à un ou deux cours par semaine dans un enseignement collectif ou comme je l'ai dit la « transmission » est impossible.
Ne rien attendre en retour ne signifie pas ne rien recevoir en retour.
Le Shishô n’a comme objectif que de maintenir la transmission de valeurs sans lesquelles la vie n'a aucun intérêt. L’impossibilité de respecter ces convictions en a conduit certains dans le passé à préférer le suicide rituel du « Seppuku » à une vie vide de sens.
Le Deshi et le Shishô se reconnaissent quand ils se rencontrent. Cela a été le cas pour moi et IKEDA Shigeo Sensei il y a maintenant des années. Nous avons su au même moment que quelque chose se passait, et même si l'un de nous est parti prématurément notre histoire n'est pas finie.
Il n'attendait rien en retour, mais j'ai encore beaucoup à lui rendre.
Pour s'engager sur cette voie, et dans ce type de relations, je dirai qu'il faut avoir le « Kokoro i ki » (on pourrait dire un cœur pur plein d’énergie et une âme à l’unisson) afin que chacun des deux lise à livre ouvert dans le coeur de l'autre. Seule cette condition permet d'éviter les erreurs à court, moyen ou long terme. En effet, des deux côtés, il est facile d'abuser un « coeur pur » en maquillant ses propres sentiments, et en créant ainsi de toute pièce un personnage qui ressemble à celui que l'autre souhaitait rencontrer.
J'ai connu ces expériences où les années ont servi de démaquillant à des coeurs qui ne méritaient pas ce qu’on leur offrait. Je ne regrette rien car je n'attendais rien en retour. Je préfère regarder avec fierté ceux qui sont encore là, et qui progressent chaque jour en m’aidant ainsi dans ma recherche personnelle.
Je ne dissocie jamais le Shishô et le Deshi, car ils ne sont rien à l'un sans l'autre.
Une fois le lien établi rien ne pourra le défaire même le décès de l'un ou l'autre, bien au contraire… À cet instant, le Deshi se doit d'adopter une attitude de confiance aveugle envers son Shishô. Ce dernier adoptera une attitude responsable en s'attachant à enseigner au Deshi tous les comportements qui lui permettront de s'élever dans tous les compartiments de sa vie dans le respect de cette confiance qui lui a été accordée. Le Shishô adaptera son enseignement au Deshi afin de permettre à celui-ci de s'épanouir de la meilleure façon qui soit.
Grâce à cela et à la progression du Deshi, le Shishô lui aussi pourra s'élever dans sa propre recherche.
Savoir attendre celui qui sera son Shishô… Savoir attendre celui qui sera son Deshi…
Ça ne veut pas dire perdre son temps. Se préparer à « la rencontre » peut prendre des années mais seule cette démarche l’engendrera. C'est le seul moyen d'être dans l'état de comprendre que c'est « lui ». Cela signifie être prêt à rencontrer l'homme au-delà de la technique qui lui sert de support pour transmettre car la technique, aussi bonne soit elle, ne doit pas dissimuler, et c’est fréquent, les lacunes du cœur.
Dans ces conditions le Deshi peut aspirer à dépasser le Shishô pour le remercier de l'enseignement reçu. Le Shishô lui doit sans cesse se faire en sorte d'apporter à son Deshi les moyens de le dépasser un jour pour ainsi remercier ses anciens de la transmission reçue.
18:40 Publié dans LE BUDO... | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts martiaux traditionnels japonais
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